Carthage Méconnue

Carthage méconnue ! C’est un paradoxe : elle est là, sous nos pieds, étudiée, fouillée par une foule de chercheurs et elle recèlerait encore des secrets ? Peut-être.

Allons nous y promener en suivant les enseignements et les publications de nos maîtres et amis : Messieurs Serge Lancel et le Père Jean Ferron, historiens et archéologues reconnus.

C’est une promenade bienvenue quand les frimas de l’hiver découragent les randonneurs.

LA VILLE

Qu’y avait-il sur cette plate-forme nue, au pied de l’« Acropolium », sur laquelle nous marchons dès l’entrée, avant les monuments prestigieux que les Romains y ont construits ?

Est-ce là que s’érigeait le majestueux temple d’Eschmoun qu’on a dit, à l’époque, couvert d’or ? Où était l’escalier monumental de 60 marches qui y menait ? Même l’enceinte qui entourait l’acropole et qui la faisait ressembler à un donjon n’a pas été retrouvée ! On ne saura jamais ce qui était bâti sur cette plate-forme de 4 hectares environ que les Romains ont aménagée. Ils ont rasé tous les vestiges puniques, les ont poussés sur les pentes, ont rajouté d’autres apports et construits à travers ces déblais, que de grands murs contenaient, ces énormes piliers à section quadrangulaire qui se dressent à partir et au-dessus des vestiges puniques dégagés.

D’abord cette colline s’appelait-elle « Byrsa » ? Serge Lancel écrit : « Aucune découverte archéologique décisive ne permet de confirmer l’identification de ce lieu avec l’acropole de Carthage » !

« Byrsa » n’est-il pas le résultat d’un jeu de mots antique avec « Bursa » : la peau de bœuf en Grec, qui masque une racine sémitique ?

N’est-ce pas la déformation des mots phéniciens : « Fi rassa » : sur le Cap ? pensait le Père Ferron. Alors, l’acropole aurait été sur le Cap Carthage à l’emplacement de Sidi Bou Saïd !

On admet qu’au moment de l’expédition d’Agathocle, tyran de Syracuse, il existait une « néapolis » : une nouvelle ville, « à peu de distance de la ville et à l’extérieur des remparts » écrit Diodore de Sicile.

Les fouilles effectuées sur les pentes de la colline ont mis à jour un niveau inférieur composé de tombeaux des VIIème et VIème siècles, un niveau moyen occupé par des ateliers, de métallurgie en particulier, dont on peut voir les vestiges sous le pavement d’une maison du quartier punique dégagé et un niveau supérieur formé d’habitations qui ont vu la destruction de Carthage en 146 avant J.C.. Les avez-vous remarquées ? On pourrait aller les voir de plus près.

Alors, Byrsa et le temple d’Eschmoun étaient-ils là ?

Sur une dalle trouvée à Gammarth, les spécialistes ont lu une inscription sur laquelle il est question d’un sacrifice offert par Scipion Emilien au dieu Baal Hamon à la veille de l’assaut. Scipion promettait, en cas de victoire, de consacrer à Baal le territoire de Carthage dans l’état où il serait mais de raser jusqu’au sol les « moenia » : les preuves de la puissance de Carthage, ses remparts et ses bâtiments officiels.

Carthage a été incendiée, certes, mais a-t-elle été détruite ? Y a-t-on semé le sel et passé la charrue, comme on le croit traditionnellement ?

Dans le musée, une petite stèle pose bien des problèmes de traduction. Elle relate l’ouverture d’une rue : « … en direction de la Porte Neuve … du (rempart méridional ?) … y ont collaboré … tous les (commerçants et artisans) qui sont dans la plaine de la ville … et les peseurs de métaux … (installés) à « mq qrt … », gravés à la cinquième ligne affirmait le Père Ferron. Il ajoutait que ces deux groupes de lettres puniques désignaient : « mq » : le ravin, « qrt » : la ville, donc le ravin d’Amilcar au pied de la colline de Sidi Bou Saïd. Pour lui, cette grande rue aurait été l’une de celles parcourues par les soldats romains montant à l’assaut de l’acropole ! Allons voir cette stèle dans sa vitrine.

LES REMPARTS

Ils devaient avoir fière allure, pour avoir résisté pendant trois ans aux assauts des Romains ! Constitués de gros blocs, couverts de stuc blanc, couronnés d’une corniche, ils ont été retrouvés, en partie, le long de la mer.

En travers de l’isthme de la Soukra, on a retrouvé les vestiges d’une partie d’une triple fortification. La 3ème ligne, ont écrit les auteurs de l’Antiquité, mesurait de 15 à 20 mètres de haut et 9 mètres d’épaisseur, sans compter les tours dressées tous les 60 mètres environ. Elle comportait, au rez-de-chaussée, des étables pour 300 éléphants, au-dessus, des écuries pour 4000 chevaux, des magasins à fourrage et enfin des casernes pour 20.000 hommes. Les remparts mesuraient, parait-il entre 30 et 40 kilomètres de long ! Ils n’ont laissé aucune trace, même pas les « fosses de remblaiement » de leurs fondations dont les pierres auraient été « pillées », alors qu’on a trouvé, dans l’isthme de la Soukra, les trous de piliers, de bois, sans doute, soutenant la première palissade en bois ! Les a-t-on vraiment cherchés ? Les remparts « reconstitués » sont remarquables dans le « quartier Magon ».

LES PORTS

Mon ami et maître Serge Lancel a écrit qu’entre le fait que le traité de paix signé après Zama interdisait à Carthage d’avoir une marine de guerre et la construction d’un immense port de guerre qu’on voit aujourd’hui, « s’ouvre une de ces béances qui donnent le vertige à l’historien » !

Allons voir les maquettes et la calle de halage restaurée sur « l’îlot de l’Amirauté ». Est-il possible que les « inspecteurs » romains et peut-être même Caton l’Ancien venu à Carthage en 153 ou 152, n’aient rien remarqué d’autre que la prospérité « insolente » de la métropole punique ?

LE TOPHET

Il n’est qu’à quelques pas des ports et pose d’énormes problèmes.

Les fouilles américaines des années 70 ont mis à jours 400 urnes, 130 ont fait l’objet d’une analyse minutieuse de leur contenu. Une sur Dix, des urnes datant du IVème siècle contiennent des restes de jeunes enfants et non les vestiges de « sacrifices de substitution », écrit Serge Lancel.

La fouille précise « d’une moindre pratique du sacrifice de substitution, qu’à la haute époque et que les victimes sont majoritairement soit des nouveau-nés soit des enfants mort-nés : l’état des restes osseux ne permet pas de faire la différence. Au IVème siècle, les restes sont majoritairement ceux d’enfants âgés d’un à trois ans. Une urne sur trois contient les restes de deux enfants ».

« L’équipe américaine estime à 20.000 environ le nombre des urnes que le tophet a pu accueillir entre 400 et 200 avant J.C. ! » Cela ferait un sacrifice tous les trois jours !

Premièrement, constatons que seul Diodore de Sicile a parlé du Tophet.

Disons que la mortalité infantile très forte à cette époque associée à la croyance punique en une « âme » d’essence divine, qui n’aurait pas été présente dans un enfant mort-né, aurait généré ces incinérations.

Enfin, la quasi absence de tombes d’enfants très jeunes dans les nécropoles puniques pourraient laisser penser que le tophet était une nécropole réservée aux très jeunes enfants. « Un jour, des analyses permettront de savoir quand et comment sont morts ces jeunes enfants. L’état actuel des connaissances n’autorise pas à nier catégoriquement la réalité du sacrifice humain carthaginois » conclut Serge Lancel.

Vous avez vu qu’il y avait encore bien des questions sans réponses à Carthage !

Alix MARTIN