Les Berbères

Conférence du 15/06/2019

En 1227 avant J.C., le roi des Lebou attaque et envahit une partie de l’Égypte. Depuis des siècles, voire des millénaires, les Égyptiens entretiennent des relations avec leurs voisins de l’Ouest, les Labous ou Libyens. Leur origine, leur territoire et leur langue sont des sujets controversés et complexes. Tentons de démêler cet écheveau particulièrement embrouillé.

Les légendes préhistoriques

À aucun moment de leur longue histoire, les « Berbères » ne semblent avoir eu conscience d’une unité ethnique ou linguistique.
 
Selon Salluste, auteur de la « Guerre de Jugurtha », les premiers habitants de l’Afrique étaient les Gétules et les Libyens, des barbares qui se nourrissaient de chair de bêtes sauvages et d’herbe des champs.
jusqu’aux environs de Carthage.
Par la suite, des Mèdes et des Perses, conduits par Hercule après l’ouverture des « Colonnes d’Hercule », arrivèrent en Afrique et se mélangèrent aux Libyens et aux Gétules.
 
Les Mèdes et les Libyens, appelés les Maures, établirent des villes, tandis que les Gétules et les Perses prirent le nom de « Nomades » puis de Numides, et conquirent des territoires
empire-perse

Certains écrivains affirment que les autochtones de l’Afrique du Nord étaient des Cananéens chassés de leur pays par les Juifs et ayant trouvé refuge en Afrique.

Selon Strabon, les Maures seraient des Indiens guidés par Héraclès, tandis qu’Hérodote rapporte que les « Maxyes » prétendaient descendre des Troyens.

D’autres sources indiquent que les « Hyksos », originaires d’Asie Mineure et de Syrie, chassés d’Égypte, se seraient réfugiés en partie en Afrique et se seraient mélangés aux Libyens.

Par ailleurs, certains auteurs, incapables de déterminer l’origine du nom « Afri », l’attribuent à une peuplade qui aurait donné son nom au continent africain.

Les réalités préhistoriques

Au Paléolithique supérieur, il y a environ 30 000 ans, apparaît le type d’« Homo sapiens sapiens », connu sous le nom d’Homme de Cro-Magnon, qui succède à l’Homme de Néandertal sans en être directement descendant.

Pendant cette période, une industrie nord-africaine unique, la civilisation de « Bir el Ater », également appelée l’Atérien, semble avoir été développée par un homme encore proche du Néandertalien, mais déjà semblable à l’Homme de Cro-Magnon.

Un peu plus tard, ou à la même époque, entre 15 000 et 8 000 ans, l’Homme de Mechta el Arbi semble constituer le lien direct entre les Néandertaliens et les Cromagnoïdes.

L’Homme atérien aurait été l’intermédiaire entre l’Homme de Mechta el Arbi et l’Homme de Néandertal.

À partir du VIIIe millénaire avant J.C., apparaît l’« Homme capsien », nommé ainsi d’après Capsa (Gafsa), une région où de nombreux vestiges de cette civilisation ont été découverts.

Bien que cette population présente de nombreuses variations, qu’elles soient graciles ou robustes, il est probable qu’il s’agisse de « proto-méditerranéens ».

Peut-on les considérer comme autochtones ? Il est certain qu’une constante influence venant de l’Ouest constitue la base du peuplement maghrébin, mais l’apport nord-sud, méditerranéen, venant d’Europe, ne doit pas être négligé.

Le creusement d’hypogées et la construction de dolmens indiquent clairement la présence de populations qui en ont apporté les techniques.

Il est également probable que des populations sahariennes, peut-être « noires », aient migré vers le nord au Néolithique en raison de la désertification progressive du Sahara, apportant avec elles le cheval et le char.

Ces « Mélanodermes » n’ont pas disparu et sont encore appelés « Izzagaren » ou les rouges au Sahara. Par ailleurs, l’occupation byzantino-romaine a dû faire face à d’énormes révoltes de la population locale, qui ont mis en péril le pouvoir impérial.

L’Antiquité

Il existe très peu de textes berbères écrits datant de l’Antiquité, mais les monuments funéraires sont nombreux et variés.
Les dolmens, de tailles et de constructions diverses, se trouvent dans plusieurs régions. Les « tumulus » vont du simple tas de pierres à la « Bazina », un cône de pierres surmontant un cylindre ceint de dalles, qui peut parfois évoluer en une tour de pierres. Ces structures sont fréquemment observées dans la région.

Les hypogées, appelés « Hanout » (pluriel « Haouanet », signifiant boutiques), sont toujours creusés au-dessus de la surface du sol, dans des rocs isolés ou des parois rocheuses.

Ils sont parfois ornés de peintures pariétales ou d’éléments sculptés, témoignant de la présence des populations qui les avaient réalisés.
 
Les grands monuments, tels que le mausolée de Dougga ou les « temples » de Chemtou et du « Kbour klib », semblent avoir hérité d’influences gréco-romaines et méditerranéennes.
Le nom « berbère » proviendrait probablement de la déformation de la racine latine « barbarus », signifiant étranger à la culture classique.
 
Cependant, des noms aussi anciens que l’Histoire, tels que « Rebu » ou « Lebu », apparaissent sur des épigraphies puniques ou néo-puniques.
 
Certains peuples étaient appelés « Afri », un nom dont l’origine est incertaine, mais qui aurait inspiré le nom de l’Afrique.


Les Berbères se nomment entre eux « Amazig » (pluriel « Imazigen »), ce qui signifie les Nobles ou les hommes libres.

Les Romains les désignaient par divers noms : Numides, Maures, Massyles, Masaessyles, Musulames, ou encore Gétules.

L’occupation byzantino-romaine a dû faire face à de grandes révoltes berbères, qui ont ébranlé le pouvoir impérial.

Le Moyen-Âge

Si la fin de l’Antiquité est marquée par l’émergence du monde berbère, illustrée par des révoltes de plus en plus fréquentes contre les occupants étrangers, tout le Moyen Âge est dominé par la conquête arabe et l’arrivée de grandes tribus chamelières, telles que les Austroriani, Louata, Zénète et Sanhadja, qui réussissent à établir des royaumes.
Après la défaite du Patrice Grégoire en 647, les Arabes se retirent après avoir pillé les lieux et exigé une lourde indemnité, sans modifier la composition de la population berbéro-romaine.
Les révoltes de Koceila et de la Kahena ne parviennent pas à arrêter l’islamisation de l’Afrique du Nord, mais les Arabes se contentent d’une occupation militaire de l’Ifriqiya, qui compte encore quatorze évêchés aux Xe-XIe siècles.
Les Berbères des montagnes ont été beaucoup plus réfractaires à la doctrine musulmane, car ils étaient profondément imprégnés de croyances chrétiennes, païennes ou juives.
 
Ils ont adopté l’Islam dans sa forme schismatique, le Kharijisme, qui est devenu le fondement de leur xénophobie.
 
À la fin du VIIIe siècle, les califes de Bagdad peinent à maintenir l’ordre en Ifriqiya, et les Arabes seront progressivement « berbérisés ». Leur prépondérance politique n’aura duré qu’un siècle.
Pendant un siècle, de 800 à 909, les Aghlabides règnent à Kairouan et conquièrent la Sicile ainsi qu’une partie de l’Italie du Sud. Profitant du chiisme, un schisme musulman, les Berbères réapparaissent sur la scène historique de la Tunisie.

En 909, Abou Abdallah, aidé par les Kotama, des Berbères de la Petite Kabylie, défait les troupes aghlabides près de Laribus (Lorbeus), entre dans Kairouan et fait proclamer Obeïd Allah comme Mahdi.

En 910, il s’établit à Raqqada et, en l’espace de cinq ans, de 916 à 921, il fait construire une nouvelle capitale : Mahdia.

Le Kharijisme devient le ferment de la révolte d’Abou Yazid, connu sous le nom de « l’homme à l’âne ».
 
Ses partisans vont jusqu’à assiéger Mahdia, mais sans succès. Les Kotama et les Sanhadja, restés fidèles, finissent par vaincre Abou Yazid.
 
Les Berbères du sud tunisien, quant à eux, restent étrangers au courant kharijite. Bologuin Ziri, délégué à Kairouan par le calife fatimide, s’impose comme un véritable homme d’État.
El Moïzz Ibn Badis (1016-1062) rompt avec le Caire et les Fatimides, et en 1048, il abjure le chiisme.
 
En réponse, le sultan El Mostancer lance les tribus arabes des Beni Hilal et des Beni Soleim à la conquête du Maghreb.
C’est à cette époque que les Berbères du sud tunisien commencent à construire les premiers ksour, avec le « Ksar des Zénètes » ou « Ksar Kdim » daté d’environ 1092.
 
Les Berbères de Tripolitaine, notamment les Houara et les Louata, n’offrent guère de résistance.
 
L’arrivée des Hilaliens modifie complètement le paysage : les Berbères Zénètes tunisiens sont refoulés dans les montagnes du nord, à Zaghouan et à l’Ouslat.
Des siècles auparavant, au VIIIe siècle, le Kharijisme triomphe, et en 757, Kairouan est prise.
Deux ans plus tard, l’Ibadisme s’impose, donnant naissance à une principauté rostémide à Tahert et à une autre dans le sud, à Sijilmassa.
 
Les Zénètes dominent les hautes plaines, tandis que les Sanhadja occupent les montagnes de l’Algérie centrale et orientale.
En 909, les Kotama s’emparent de Kairouan, et en 920, les Sanhadja détruisent le royaume idrisside du Maroc.
 
C’est à cette époque, vers 1100, que des ksour, comme le Ksar Zenata, sont construits dans le sud tunisien.
 
Les princes berbères Zirides, Hammadites, et plus tard les Almohades, font appel à ces nomades, dont l’influence culturelle et socioculturelle est déterminante : c’est à partir de cette période que le Maghreb s’arabise et s’islamise progressivement.
Les Lemtouna, un groupe berbère du Maroc, se regroupent et fondent les Almoravides, une communauté issue des « Mourabitoun ».
 
Ils créent un empire puissant, détruisent l’hérésie des Berghawata au Maroc et conquièrent une grande partie de l’Espagne.
Pendant ce temps, Tunis se place sous la protection des Hammadites d’El Kalaâ et nomme Abdelhak Ibn Khorassan comme gouverneur vers 1063.
Les Sanhadja du Maroc, en particulier les Masmouda, fondent les Almohades en 1163, à l’image des Kotama et des Lemtouna.
Les Almohades renversent les Almoravides, éliminent les dernières communautés chrétiennes et juives, et conquièrent l’Afrique du Nord ainsi que l’Espagne.
 
Leur empire prospère jusqu’à sa disparition au XIIIe siècle.
Par la suite, les Berbères cessent de jouer un rôle majeur dans l’histoire. Devenus cultivateurs ou pasteurs, ils s’efforcent de préserver une certaine indépendance tribale, constamment menacée par les pouvoirs en place.
La plupart des ksour du sud ont été construits au XVIe siècle, période marquée par une « réislamisation » de ces populations.
 
À l’époque de l’invasion hilalienne, certains Berbères vivent dans les oasis, tandis que d’autres sont repoussés vers l’ouest, comme les Nefzaoua, les Berbères Meraziques autour de Douz, les habitants du Dahar, et les Matmatas, qui se regroupent à El Hamma.
 
Les restes des Laouata rejoignent les Matmatas et les Demer.
 
Dans le Jebel Ghomrassen vivent les Hamdouns, tandis que des Berbères Zénètes vivent en servage à Chenini et Douiret.
 
Des Berbères nomades, tels que les Atemna et les Ataiya, occupent les premiers plateaux de la Jefara et le massif du Jebel Sidi Toui.

Les Berbères d’aujourd’hui

Les Berbères n’ont pas disparu et sont encore présents aujourd’hui.

  • Au Sahara : Une grande partie des populations sahariennes sont d’origine berbère.
  • En Tunisie : Le fond ethnique majoritaire est berbère. Cependant, l’« îlot » berbère et berbérophone de Douiret et des hameaux environnants est en train de disparaître.
  • En Algérie : La Kabylie constitue un important ensemble berbère. Il existe également des « îlots » berbères dans les montagnes de l’Ouest algérien, et les Aurès sont peuplées en majorité de Berbères.
  • Au Maroc : Les montagnes du Rif sont certainement peuplées par des Berbères d’origine. L’Atlas constitue également un vaste ensemble berbère.

Les survivances

 
La stylisation géométrique de la décoration des poteries berbères, même très anciennes, est un héritage méditerranéen.
 
Le travail du bois, les tissages et les bijoux reflètent un mélange d’archaïsme et de conservatisme.
 
La « République villageoise » représente la forme la plus caractéristique de la société berbère, qui est organisée sans État.
Les fondements du pouvoir au sein des sociétés berbères reposent sur une tribu ou une confédération.
 
Les sociétés touarègues, notamment celle des Ihaggaren, contrôlent d’immenses territoires où se manifeste l’« ettabal » (ou tobal : grand tambour honorifique), symbolisant la tribu dominante et permettant de rassembler la confédération.
 
Cette dernière est divisée en deux classes : les « aristocrates », appelés Imouharet, et les tributaires, connus sous le nom d’« Imrad ». La confédération est dirigée par un Amenokal.
 
L’impossibilité de créer un État organisé parmi les Berbères tient principalement à l’absence de règles de transmission du pouvoir.
 
Au Maroc et en Algérie, de nombreux groupes ont conservé leur langue et, souvent, une grande partie de leurs coutumes.
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Jusqu’à présent, les « Moussen », équivalents des « Zerda » tunisiennes, ne donnent qu’une idée limitée des rassemblements des « Confédérations » de tribus.
 
Les tribus n’étaient pas isolées ; elles adhéraient à des « ligues » appelées « çoffs », qui répondent à des clivages remontant à des temps très anciens et qui ravivent périodiquement les conflits. Ces clivages jouent un rôle majeur lors de chaque crise.
 
La vie sociale est régie par des coutumes qui, parfois, n’ont été que faiblement influencées par le droit musulman. Une grande variété de règles organise le droit privé.

Par Alix Martin