Pourquoi ne valorise-t-on pas nos richesses culturelles ?


Court périple à la recherche d’Ibn Khaldoun et son histoire enterrée…

Mon premier contact avec le monde de l’histoire a été, comme la majorité, en classe durant le cours d’histoire. Malheureusement, la méthode de son enseignement, qui continue à rester intacte jusqu’à nos jours, n’encourage nullement l’élève à profiter de cette matière. La matière Histoire est souvent couplée avec la Géographie, elle est sensée apprendre à l’élève à réfléchir sur les événements historiques ; analyser, comparer avec le présent et discuter des possibilités existantes dans une situation passée.

Je n’aimais pas cette matière, ou en d’autres termes, je ne la comprenais pas. Il s’agissait d’apprendre un texte par cœur, souvent chiffré avec des dates et ceci ne me donnait aucune inspiration. Je le faisais obligée pour « sauver la matière ». Ainsi, j’ignorais bien évidemment l’histoire de mon pays aussi.

Abderrahmane Ibn Khaldoun, qui a vécu de 1332 à 1406 a grandi en Tunisie, il avait plus qu’un qualificatif ; il était historien, économiste, géographe, démographe, précurseur de la sociologie et également homme d’état. En grandissant, je ne connaissais de ce savant que sa statue debout à l’Avenue Habib Bourguiba. Une statue qui attend les pluies de « Ghasselet ennoueder » pour être un peu nettoyée.

Passion de lecture historique

Ma passion pour la lecture m’a permis de trouver le chemin à travers des romans historiques et non seulement me réconcilier avec l’histoire en général, mais aussi continuer à lire et chercher à travers les écrits des auteurs de ce style de romans. Un jour, j’ai eu entre les mains un des livres intitulé « الغروب الخالد » de l’auteur Tunisien Hassanine Ben Ammou. Dans ce livre l’auteur a réveillé Ibn Khaldoun de son long sommeil pour qu’il raconte son histoire entre les pays arabes et l’Andalousie. Il a également réveillé en moi une attirance vers ce personnage dont l’histoire est tout aussi pleine d’intrigues et de tristesses et riche de cultures et d’apprentissages.

Je savais qu’Ibn Khaldoun est né dans la Médina de Tunis et que sa maison natale est encore présente dans le quartier des Andalous. Sans plus !

Toujours grâce à ma passion pour la lecture j’ai eu dernièrement entre les mains un autre livre intitulé « Les jalousies de la rue Andalouse » de l’auteur Ahmed Mahfoudh. Vers la fin de ce livre l’auteur informe que le quartier andalou de la Médina de Tunis a été restauré. J’ai eu un enthousiasme soudain et je suis allée, sans tarder, à la recherche des traces d’Ibn Khaldoun en commençant par la recherche de sa maison natale.

Déception et nostalgie

L’enthousiasme que j’avais en commençant mon périple a été remplacé immédiatement par la déception. Il était déjà très difficile de retrouver la rue, vu l’absence d’indications. Ce n’est qu’en demandant à des passants qu’on m’a indiqué la rue « Houmet Landlous », comme on le prononce ici.

Restauration aucune, je n’ai vu que des vielles maisons, qui ont presque perdu toutes leurs peintures. Je suis passée devant une mosquée aillant une plaque indiquant que c’est « مسجد الاشبيلي » du 10ème siècle, une porte aillant une plaque indiquant « Les ateliers du Bey ». J’ai fait la rue deux fois sans trouver la maison de naissance d’Ibn Khaldoun. J’allais désespérer pour rebrousser chemin quand j’ai trouvé marqué sur une vielle mosquée « Ici a étudié le savant Abderrahmane Ibn Khaldoun ». L’espoir est revenu et j’ai demandé à une personne devant la mosquée de m’indiquer sa maison. Ce dernier m’a montré une maison avec étage, devant laquelle je suis passée plusieurs fois. Elle porte une plaque sur laquelle est écrit : Institut National du Patrimoine – Projet de la carte archéologique (مشروع الخارطة الأثرية) et de l’autre côté Département d’archives (مصلحة الأرشيف). Evidemment, les portes mentionnées sont fermées et j’ignore si elles ouvrent durant un horaire dans la journée, puisque rien d’autre n’est indiqué.

Beaucoup d’interrogations

Pourquoi il n’y a aucune indication ?

Pourquoi les plaques portant un semblant d’information sont, ou bien illisibles, ou bien sales avec les peintures répétées ?

Pourquoi l’entrée de la mosquée, là où le grand savant Ibn Khaldoun a étudié, est délabrée ?

Pourquoi sa maison natale a été transformée ? Et en quoi ?

Dernière interrogation : Pourquoi on ne met pas en valeur nos richesses culturelles ?

Dans d’autres pays, le moindre indice rappelant un personnage qui a vécu ou même passé par un endroit, est une occasion pour tracer sa route et éterniser son passage pour les générations futures et les visiteurs étrangers…

Souvenirs

En 1999 j’ai collaboré avec El Legado Andalusi de la ville de Grenade en Espagne dans le cadre d’un projet concernant Ibn Khaldoun. Une délégation de trois personnes est venue à Tunis. Ils voulaient dédier un numéro de leur revue pour Ibn Khaldoun. Ils m’ont demandé donc de les emmener à sa maison natale. Je me rappelle que ça n’a pas été une tâche facile à l’époque, puisque nous avons trouvé la maison sans pouvoir y entrer. Malgré ce désagrément, ils ont pu rassembler beaucoup d’informations d’autres pays, en plus des informations qu’ils possédaient déjà. A présent, ils ont une bibliothèque numérique sur Internet réservée à Ibn Khaldoun et c’est le minimum réalisé pour ce savant par les espagnols, car la liste est bien longue.

Référence

الغروب الخالد. حسنين بن عمو. الطبعة الأول . ISBN : 978-9973-61-350-9.2006 .

Les jalousies de la rue Andalouse. Ahmed Mahfoudh. Arabesques. ISBN : 978-9938-07-337-9. Première édition 2019.

El Legado Andalusi, (http://www.legadoandalusi.es/), Corral del Carbon, Granada, España.

Photos prises par moi-même dans la rue

Thouraya Daouas

Août 2019